Sur l’île d’Amsterdam se trouvent ce qu’on nomme des cabanes. Les deux plus importantes sont gérées par l’Institut Polaire Français et permettent aux quelques scientifiques (particulièrement les ornithologues et les agents de la réserve naturelle) de partir en « manip » entre trois jours jusqu’à un mois. Les agents de la réserve naturelle sont des personnes engagées par les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) qui suivent l’évolution de la faune et flore endémique d’Amsterdam mais aussi des espèces invasives et introduites. En effet, notre passage sur l’île n’est pas sans conséquence sur l’environnement propre à l’île et avant les années 2000, les mentalités n’étaient pas les mêmes. En 2006, la réserve naturelle des TAAF a été créée et avec elle, une conscience écologique supérieure à ce qui se faisait auparavant. Les ornithologues sont employés par l’Institut Polaire Français et suivent principalement les populations d’albatros à bec jaune représentant 70% de la population mondiale de cette espèce, les albatros fuligineux à dos sombre, les albatros d’Amsterdam (seulement une cinquantaine de couples restant sur Terre et tous regroupés sur l’île) et les gorfous sauteurs. Un des ornithologues a aussi pour charge de suivre la population d’otaries à fourrure subantarctique, espèce envahissant une grande partie des bords de l’océan.
Dans le vocabulaire « taafien », mon poste est celui du « Gener ». La signification est malheureusement inconnue mais le poste correspond à la personne qui s’occupe de la logistique (et pour ma part, en plus de l’électronique) sur les missions scientifiques. La logistique comprend la planification des sorties hors de la base mais aussi l’entretien des cabanes, du matériel appartenant à l’Institut Polaire. L’année est rythmée par quatre passages de bateau, le célèbre Marion Dufresne. Exceptionnellement, il ne passera que trois fois à Amsterdam pour cause de missions près des îles Éparses. Il n’effectuera donc que trois rotations où il ravitaillera la base en personnel, vivres et matériel. Elles se situent en août, novembre et décembre. On les appelle des OP et comporte un numéro correspond à la énième rotation de l’année du Marion. À l’OP de novembre (OP3), les nouveaux Volontaires de Service Civique (VSC) sont amenés et les cabanes ravitaillées en vivres.
Durant un mois, je suis formé avec mon prédécesseur à réaliser le travail que j’effectuerai pendant l’hivernage. Une des chances que j’ai est de pouvoir déclencher des manips dites « manips log » pour l’entretien et l’inventaire des vivres des cabanes. L’outil principal du Gener est la touque. Qu’est-ce qu’une touque ? C’est simplement un contenant en plastique « souris-proof » qui permet la conservation des aliments et du matériel des cabanes. Il en existe deux modèles : les bleues et les rouges. A part leur couleur et leur forme légèrement différente, elles sont absolument identique. C’est l’objet essentiel de la logistique des cabanes et le Gener est souvent associé au mot touque lorsqu’il est évoqué. Cela pourrait aller jusqu’à devenir son deuxième prénom juste avant « scotch orange ». Je vis la touque, je suis la touque, je touque.
Dans le premier mois, je suis donc allé tout d’abord trois jours à la cabane Del Cano du 29 novembre jusqu’au 1er décembre. Cette cabane est à six heures de marche pour une distance de quatorze kilomètres. La longueur est expliquée par le fait qu’il n’existe aucun sentier pour y accéder. Nous longeons la côte Est par le sentier représenté en vert sur la carte ci-contre à travers les scirpes. Du 5 au 7 décembre, je suis parti à la cabane d’Entrecasteaux, qui est un endroit des plus magnifiques que j’ai pu voir. Le doux son des albatros fuligineux et l’envol des becs jaunes autour de la falaise sont deux choses inestimables.
Del Cano est une cabane qui possède trois lits, un camping-gaz et de quoi bien manger tout le long de l’année. Malgré sa petite taille, elle est tout confort et permet agréablement de passer des nuits bien au chaud. Elle offre un lieu privilégié pour l’étude de la flore locale mais aussi pour l’étude des albatros fuligineux à dos sombre qui se baladent à travers le ciel par centaines en poussant leur cri dès l’aube et jusqu’au coucher du soleil.
Entrecasteaux, aussi appelé le refuge des becs jaunes est la cabane privilégiée des ornithologues. Elle est placée au bas de falaise et a un accès direct aux colonies. Elle est située à huit heures de marche de la base pour quinze kilomètres. Il faut parcourir un dénivelé de plus de 800 mètres et redescendre la falaise à l’aide d’une Via Ferrata et diverses mains courantes (cordes qui permettent un accès moins dangereux à certaines zones). Jusqu’à six personnes peuvent vivre dedans, elle possède l’électricité photovoltaïque et un incinérateur de déchets. J’ai eu la chance d’aider les ornithos sur place et manipuler les albatros afin de suivre leur population en voie d’extinction.